Discours

Les préoccupations financières des hôpitaux et la pénurie de personnel soulignent la nécessité d’investir et de réformer

Chaque année, Belfus produit une analyse financière des hôpitaux généraux belges : l'analyse MAHA. Comme d'habitude, j'ai pris la parole à l'occasion de l'annonce des résultats.

Mesdames, messieurs,

Ces dernières années, des crises successives ont eu un grand impact sur nos hôpitaux et leur personnel. En 2020 et 2021, c’est le COVID qui sévissait. En 2022, la crise énergétique et l’inflation ont été omniprésentes. Aujourd’hui, fin 2023, nous devrions à nouveau concentrer toute notre attention sur les défis structurels auxquels nos soins de santé sont confrontés, des défis liés aux tendances démographiques, sociologiques et technologiques qui se manifestent depuis plusieurs années et qui continueront à faire pression pendant longtemps. Mais les répercussions du COVID – la fatigue et le stress du personnel – et les répercussions de la forte hausse des coûts – les comptes des hôpitaux dans le rouge – se font toujours sentir. Personnellement, j’estime que ce contexte difficile rend d’autant plus nécessaire de continuer à investir dans nos soins de santé, mais aussi de les réformer. Nous ne résoudrons vraiment pas les problèmes en ne faisant que multiplier ce qui existe.

En tant que ministre de la Santé publique, j’estime qu’il est de ma responsabilité que les hôpitaux puissent fournir des soins de qualité, dans les meilleures conditions, et d’une manière financièrement saine. Et ces soins de qualité doivent être accessibles et abordables pour tous les patients.

L’analyse financière et organisationnelle menée chaque année par Belfius montre que nos hôpitaux généraux doivent fournir de gros efforts pour arriver à tout boucler, au niveau du budget comme au niveau de l’organisation. J’en suis extrêmement conscient et je vous en suis très reconnaissant. Je tiens donc, en premier lieu, à vous en remercier, vous et vos collaborateurs.

Dans ma réaction, je voudrais d’abord aborder la problématique financière et ensuite, brièvement, la réforme du paysage hospitalier. Ensuite, j’aborderai la problématique du personnel.

 

  1. Le défi financier : investir et réformer, parce que multiplier ce qui existe ne suffira pas

Premier constat concernant l’étude MAHA : en 2022 et 2023, les hôpitaux ont subi un gros choc inflationniste, avec une forte hausse de leurs coûts dans l’ensemble et une explosion de leurs coûts énergétiques. Bien que tous les hôpitaux soient affectés par ces chocs, la situation financière varie néanmoins d’un hôpital à l’autre.

Ces différences soulèvent des questions, mais je ne vais pas aborder cet aspect maintenant. Je veux me concentrer en l’occurrence sur le problème général auquel tous les hôpitaux sont confrontés. Le financement dual actuel rend les hôpitaux davantage sensibles à de tels chocs inflationnistes (“dual” parce qu’il y a deux sources de financement principales : le Budget des moyens financiers ou « BMF », d’une part, et les honoraires des médecins, d’autre part). En effet, le BMF est complètement et immédiatement lié à l’inflation (c’est-à-dire indexé), mais les honoraires des médecins ne sont liés à l’inflation qu’avec un décalage dans le temps. Ci-dessous, nous comparons la hausse nominale du budget partiel des honoraires de médecins dans le budget de l’assurance maladie avec l’inflation :

 

 

2021/2020

2022/2021

2023/2022

2024/2023

Croissance nominale du budget des honoraires des médecins

+ 3,3%

+3,7%

+9,1%

+7,7%

Inflation (augmentation de l’indice des prix à la consommation)

+2,4%

+9,6%

+4,4%

+4,1%

Croissance réelle

+0,8%

-5,4%

+4,5%

+3,5%

 

En 2022, la hausse de la masse d'honoraires des médecins prévue au budget a été très inférieure à l’inflation : en « termes réels » (en « volume », c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation), la masse d’honoraires prévue au budget a baissé de plus de 5 % ! En 2023, c’est le contraire qui se produit : en termes réels, la masse d'honoraires prévue dans le budget augmente de 4,5 %. En 2024, il se passe la même chose qu’en 2023 : le budget prévoit une croissance réelle de 3,5 % des honoraires des médecins. L’année 2022 a été très exceptionnelle en ce sens. En fait, ce que nous voyons, ce sont des montagnes russes.

Un tel modèle de financement dual n’est évidemment pas bon si l’on veut protéger les hôpitaux d’un choc inflationniste. Ce problème ne peut pas non plus être résolu par une révision du mécanisme d’indexation des honoraires des médecins (ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas un point d’attention en soi : pour l’avenir, nous avons déjà convenu au sein du gouvernement que les estimations techniques du budget de l’INAMI devront désormais tenir compte de l’inflation jusqu’au mois d’août, et non plus jusqu’au mois de juin).

Ceci souligne la nécessité absolue de réorganiser fondamentalement le mode de financement des hôpitaux, en faisant en sorte que tout ce qui est lié au coût d’un hôpital, non seulement tous les coûts du personnel infirmier et soignant, mais aussi les coûts de l’appareillage médical et des fournitures, soit financé directement à partir d’un budget qui est aligné sur les besoins des patients admis, examinés ou traités à l’hôpital. Les honoraires des médecins devraient uniquement être une rémunération du travail intellectuel et de la responsabilité des médecins, et non un financement de l’exploitation d’un hôpital. Il va de soi qu’un budget hospitalier qui inclut tous les coûts doit être indexé correctement et à temps, comme c’est le cas avec le BMF aujourd’hui. Mais étant donné que le BMF actuel ne suffit pas à couvrir les coûts des hôpitaux, en particulier les coûts du volet ambulatoire de la polyclinique, l’indexation correcte du BMF actuel n’est évidemment pas suffisante pour couvrir la hausse globale de ces coûts. (J’ajoute immédiatement cette réflexion : si les coûts du volet ambulatoire de la polyclinique étaient financés directement par un budget pour l’hôpital et non plus à partir des rétrocessions d’honoraires, un cadre d’accords serait également nécessaire en ce qui concerne les normes d’une polyclinique finançable de cette manière).

Pour les hôpitaux qui travaillent en grande partie avec des médecins salariés, comme les hôpitaux universitaires, le choc de l’inflation a évidemment frappé encore plus fort : on le voit bien dans l’analyse MAHA. Cela souligne encore une fois combien le financement dual actuel rend notre système très vulnérable à des chocs exogènes, plutôt que de signaler un problème de financement de nos soins hospitaliers structurellement croissant.

Ceci dit, même avec un mécanisme d’indexation global correct, il n’aurait pas été possible d’absorber le choc énergétique. C’est pourquoi, en 2023, nous avons accordé aux hôpitaux une bouffée d’oxygène de 262 millions d’euros, d’une part une intervention supplémentaire de 80 millions d’euros pour la facture énergétique (dont 72 millions d’euros pour les hôpitaux généraux analysés par Belfius et 8 millions d’euros pour les hôpitaux psychiatriques) et d’autre part une réduction des cotisations patronales (qui est en partie plutôt une aide à la liquidité des hopitaux, car une partie de la réduction sera récupérée en 2025). L’intervention pour la facture énergétique, qui a seulement été versée comme provision en août 2023, n’a pas encore été prise en compte dans le rapport MAHA. (C’est une des raisons pour lesquelles l’on peut espérer que l’année 2023 se terminera sur des résultats légèrement meilleurs que ne le suggère l’étude MAHA. Un autre facteur qui peut conduire à moins de pessimisme pour 2023 est que la baisse de l’activité hospitalière sur laquelle se base l’étude ne va pas peut-être pas se poursuivre de la même manière au second semestre 2023, en particulier si l’on considère l’évolution des admissions classiques conjointement avec l’évolution des hospitalisations de jour en chirurgie. En effet, si nous combinons les chiffres, cela donne une hausse attendue de 6,4 % par rapport à 2022 et de 1,9 % par rapport à 2019).

Je ne nie pas la gravité de ce choc, bien au contraire. Et je ne nierai pas non plus d’autres problèmes, comme la charge des pensions qui pèse sur certains hôpitaux. (Des mesures ont été prises au sein du gouvernement fédéral pour commencer à limiter cette charge de pension, mais il ne fait aucun doute que ce ne sera pas suffisant et un prochain gouvernement y sera à nouveau confronté). Mais si nous considérons l’investissement qui a eu lieu au cours de cette législature pour soutenir le financement des hôpitaux à un peu plus long terme, il est malgré tout très important. En d’autres termes, nous devons faire la distinction entre un problème d’instabilité dans l’œil d’un cyclone inflationniste, qui est lié au modèle de financement actuel, et la question de savoir si notre financement des hôpitaux est structurellement suffisant et adéquat à moyen terme. Cette question est également liée au modèle de financement, mais elle apporte une perspective différente.

En 2019, l’effort fédéral pour le budget de base BMF (c’est-à-dire le BMF diminué des sous-parties A1, A3 et C2, qui relèvent des compétences des entités fédérées, ainsi que de l’enveloppe C2 pour les montants de rattrapage) était de 7,9 milliards d’euros ; en 2023, l’effort fédéral pour le BMF est de 10,7 milliards d’euros. Même en tenant compte de l’inflation entre 2019 et 2023, il s’agit d’une hausse de 14,7 % en termes réels sur ces 4 années. Cette hausse du BMF est en partie due au fait que nous avons rendu possibles des investissements importants dans le personnel de soins, en ce qui concerne tant leur rémunération que le nombre de collaborateurs. Cette augmentation se poursuivra en 2024 : sur base des travaux en cours, j’estime que l’effort fédéral pour le BMF en 2024 s’élèvera à 11,2 milliards d’euros, ce qui représente en termes réels 15,7 % de plus qu’en 2019. Il ressort également du rapport MAHA que l’encadrement en termes d’effectifs et leur rémunération se sont nettement améliorés ces dernières années, mais cela ne résout évidemment pas la problématique du personnel. J’y reviendrai dans un instant.

En ce qui concerne la deuxième source de financement des hôpitaux, à savoir les honoraires des médecins, la hausse globale y a été beaucoup plus modeste : la masse d’honoraires inscrite au budget a augmenté de 19,5 % en termes nominaux entre 2019 et 2023, ce qui représente une hausse modeste de 1,2 % en termes réels (en tenant compte de l’inflation). Le budget de l’assurance maladie 2024 prévoit une augmentation des honoraires des médecins d’environ 3,5 % en termes réels (augmentation nominale corrigée en fonction de l’augmentation actuellement prévue des prix à la consommation). Pour le formuler encore différemment, entre 2019 et 2024, nous nous attendons à voir une hausse réelle d’un peu moins de 5 %.

Je reprends ces chiffres de manière synthétique dans le tableau ci-dessous et je les compare également à la croissance économique réelle sur la même période.

 

 

Hausse réelle de l’effort fédéral pour le BMF

Hausse réelle de la masse totale des honoraires de médecins

Hausse réelle du Produit intérieur brut

 Estimation 2019-2023

 14,7%

 1,2%

4,6%

Estimation 2019-2024

 15,7%

 4,7%

6,0%

 

En résumé, on peut donc affirmer qu’au cours de cette législature, les hôpitaux ont trouvé et trouvent encore dans le BMF une source de financement fédérale en forte croissance, ainsi qu’une source de financement dans les honoraires des médecins, bien que l’augmentation des honoraires de médecins soit plus modeste au cours de cette législature (voir la hausse réelle en 2024 par rapport à 2019). La croissance de l’effort fédéral pour le Budget des moyens financiers des hôpitaux a été jusqu’à présent plus de 2,5 fois supérieure à la croissance du PIB ! L’augmentation de la masse des honoraires de médecins est proche de la croissance du PIB sur l’ensemble de la période. En d’autres termes, les autorités fédérales ont investi très fortement dans les hôpitaux, et c’était nécessaire.

Ce que je montre ici, ce sont les sources principales du financement des hôpitaux. La réalité de l’évolution financière des hôpitaux à moyen terme n’est évidemment pas très transparente, parce que nous ne savons pas ce qu’impliquent les rétrocessions des honoraires des médecins pour les hôpitaux individuels : cela souligne une fois de plus la nécessité de revoir fondamentalement le financement des hôpitaux.

Au cours de la prochaine législature, nous devrons coupler les investissements supplémentaires qui sont nécessaires dans les soins de santé à des réformes dans le secteur hospitalier qui sont tout aussi nécessaires, axées sur une efficacité maximale et sur la qualité plutôt que sur la quantité. Continuer comme avant, simplement multiplier ce qui existe déjà, n’est pas le message aujourd’hui, et ne peut certainement pas être le message pour demain.

 

  1. Hospitalisation de jour et autres réformes nécessaires

Dans les chiffres présentés aujourd’hui par l’analyse MAHA on observe le glissement systématique vers l’hospitalisation de jour, que nous soutenons et encourageons par notre politique. L’hospitalisation de jour est tout simplement bénéfique pour le patient et elle permet de valoriser au maximum les compétences du personnel hospitalier. Nous avons fait en sorte que l’hospitalisation de jour soit mieux financée depuis 2023 afin que les hôpitaux ne subissent pas de pertes financières lorsqu’ils font le choix correct de l’hospitalisation de jour. Cette réforme, qui a un impact à partir de 2023, est une donnée importante qui doit également rendre le passage à l’hospitalisation de jour plus acceptable pour les hôpitaux à l’avenir.

Le soutien et le financement correct de l’hospitalisation de jour constituent un « chantier » important de notre réforme globale des hôpitaux, que nous avons concrétisé. La réforme des hôpitaux qui a été mise sur les rails doit permettre à chaque patient de recevoir les meilleurs soins au moment et à l’endroit où ces meilleurs soins sont disponibles. Ce faisant, nous nous engageons systématiquement et consciemment sur la voie d’une coopération poussée en suivant la logique « des soins de proximité si possible, des soins spécialisés si nécessaire ».

La concentration des centres de soins de l'AVC, pour la meilleure prise en charge possible à l’endroit le plus adéquat, en est un exemple. Nous nous basons sur la même philosophie pour définir l'approche concernant les traumatismes (majeurs), avec un nombre limité de centres de référence correctement répartis géographiquement.

Nous poursuivons également nos travaux sur la concentration des soins pour certains cancers, dont les tumeurs de la tête et du cou, les tumeurs chez les enfants, et les tumeurs chez les adolescents et les jeunes adultes (ou « AJA »). Sur la base des recommandations du Centre d'expertise, nous réexaminons et suivons également - en concertation avec les entités fédérées - les soins pour le cancer du sein. Et étant donné que les patients souhaitent être soignés à domicile (le plus longtemps possible et lorsque c’est possible), nous donnons aujourd’hui toutes ses chances à l’hôpital de jour chirurgical et, pour la première fois, nous rendons possible l’hospitalisation à domicile pour les traitements contre le cancer et les traitements antibiotiques. Nous voulons renforcer ces initiatives et leur mise en œuvre.

Comme je l’ai dit il y a un instant, l’organisation du paysage hospitalier est indissociable de son financement. C'est pourquoi, en plus des efforts financiers que nous faisons maintenant, dans le court terme, nous continuons aussi à travailler sans relâche à une réforme fondamentale à plus long terme.

L'objectif ? Un système moins complexe et plus transparent (1) qui incite moins à la surconsommation et plus à la qualité et (2) qui encourage la collaboration. La pierre angulaire de ce nouveau modèle de financement est l'introduction d'un « forfait all-in » par pathologie qui comprend tous les coûts justifiés liés aux soins.

Les travaux d'analyse nécessaires devraient être achevés d'ici fin 2024 et s'inscrivent en grande partie en parallèle de la réforme de la nomenclature, qui respecte également le calendrier prévu. Des groupes de recherche travaillent activement à l'établissement d'un inventaire des coûts liés aux pathologies sur la base de données fournies par des hôpitaux de référence sélectionnés.

Entre-temps, nous apportons déjà des adaptations prioritaires dans une perspective de qualité.

Tout d'abord, dans le domaine de l'imagerie diagnostique : nous constatons (depuis des années) que, par rapport aux pays voisins, nous avons relativement trop recours au scanner (cf. exposition aux rayonnements, même si elle a été considérablement réduite avec les appareils actuels) au lieu de recourir aux examens RMN. Parallèlement à l'augmentation du nombre d'appareils RMN dans notre pays, nous introduisons donc un nouveau système de financement par population qui encourage l'utilisation de la RMN sur la base de données probantes. Dans le financement des hôpitaux, nous mettons également l'accent sur la qualité des soins à l'échelle de l'hôpital en modifiant le contenu du programme P4P (« Pay for Performance »).

Je constate, y compris dans les avis que je reçois du Conseil fédéral des établissements hospitaliers, qu’il y a encore beaucoup de frilosité à l’égard de ces réformes. Je ne le répéterai jamais assez : si nous voulons donner un avenir à nos soins de santé, nous devons investir ET réformer. Nous ne résoudrons pas les problèmes en multipliant ce qui existe.

 

  1. Le défi du personnel : investir et réformer parce que continuer sans rien changer ne sera pas suffisant

J’en arrive à la problématique du personnel, où nous sommes en présence de constats paradoxaux et difficiles. D’une part, l’étude MAHA montre qu’il y a eu des investissements dans le personnel des hôpitaux : les frais de personnel augmentent de 14,5 % en 2022 dans les hôpitaux étudiés. Dans ce pourcentage, 7,9 % s’expliquent par l’inflation, 2 % par l’augmentation du personnel à rémunérer (le nombre d’ETP a augmenté de 2 %) et 4,6 % sont dus à l’augmentation du coût salarial par ETP.

Plus de personnel rémunéré signifie qu’il y a plus de personnel effectivement présent, même dans une période où l’activité hospitalière - telle que mesurée par l’étude MAHA - a plutôt diminué qu’augmenté. L’étude souligne néanmoins qu’il y a toujours plus d’absences pour maladie (j’y reviendrai dans un instant), mais les personnes qui restent absentes pour maladie après une période de salaire garanti ne sont pas comptabilisées dans ces chiffres : ces chiffres indiquent donc bel et bien la présence d’un personnel supplémentaire et actif (je le répète encore une fois : le terme « actif » inclut des périodes d’absence de courte durée pendant la période de salaire garanti). Nous estimons que le Fonds Blouses blanches a permis d’engager quelques 5.000 personnes supplémentaires (exprimées en ETP) dans les secteurs fédéraux de la santé au cours de cette législature. Cela correspond à ce que nous pouvons conclure d'études MAHA successives : entre 2019 et 2022, le nombre total d’ETP a augmenté de 4,96 %, soit 5.806 ETP, selon notre lecture des études MAHA. Cet effort était indispensable : je ne le dis pas par autosatisfaction, car je suis conscient qu’il faut parfois beaucoup de temps – au point que c’est frustrant - pour que certains efforts et mesures se fassent réellement sentir sur le terrain, et je me rends compte qu’il y a encore du pain sur la planche. Mais, outre le stress financier, l’étude MAHA illustre aussi la réalité d’un encadrement un peu meilleur.

La hausse du coût salarial par ETP en plus de l’inflation (+ 4,6 %) peut être due à différents facteurs. Il peut s’agir de décisions de politique comme les augmentations salariales dues à l’accord social et à la mise en place de l’IFIC, la prime supplémentaire que nous avons accordée aux infirmières spécialisées qui ont opté pour l’IFIC, mais aussi d'évolutions non liées à des décisions politiques, comme les augmentations liées à l’ancienneté pour les personnes qui sont en service depuis longtemps. Quoi qu’il en soit, cela signifie que le revenu moyen a augmenté. En outre, d’autres facteurs peuvent également influencer ce chiffre moyen, tels que les changements dans la composition des effectifs, ainsi que les coûts supplémentaires qui résultent du recours à des travailleurs temporaires (bien que ce dernier facteur n’ait qu’un effet marginal sur le chiffre global).

En effet, il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’accord social et de l’IFIC, en particulier pour les débutants : une personne qui entame aujourd’hui une carrière d’infirmière dans un hôpital gagne - en plus de l’index – 11 % de plus qu’une personne qui a débuté en 2019. Donc, travailler dans les soins de santé en tant qu’infirmière débutante est devenu plus intéressant sur le plan financier - peut-être devrions-nous le dire davantage. C’est précisément parce que nous nous sommes rendu compte que l’IFIC mettait surtout l’accent sur celles et ceux qui commencent, alors que les personnes ayant de l’ancienneté mais aussi des qualifications supplémentaires progressaient moins, voire pas du tout avec l’IFIC, que nous avons prévu une prime annuelle pour les infirmières ayant un titre professionnel particulier ou une qualification professionnelle particulière. Le montant annuel de cette prime a été versé intégralement pour la première fois en septembre (2.760 euros bruts pour les personnes à temps plein avec un titre professionnel particulier ; 920 euros bruts pour les personnes à temps plein avec une qualification professionnelle particulière).

En même temps, il reste très difficile de trouver du personnel de soins, en particulier des infirmières, et beaucoup d’entre elles sont soumises à une forte pression dans les hôpitaux - en témoigne la forte hausse des absences pour maladie. La réponse est qu’en plus des investissements et des mesures qualitatives pour le personnel, et en plus des initiatives de formation supplémentaires que nous prenons, avec les partenaires sociaux, telles que #ChoisisLesSoins, il est également nécessaire de réformer en profondeur la profession infirmière. Les infirmières doivent vraiment être mises à profit à leur juste valeur, en fonction de ce qu’elles connaissent et de ce dont elles sont capables. Il faut leur confier moins de tâches administratives,logistiques et d’hygiène de base : aussi importantes que soient ces tâches, elles peuvent être accomplies par d’autres. En même temps, le personnel infirmier doit avoir la possibilité de contribuer au suivi des patients de manière plus autonome. Pour y parvenir, nous avons entamé une vaste réforme, que nous mettons maintenant en œuvre graduellement :

(1) La nouvelle échelle de soins crée un éventail plus large de profils professionnels au sein de la profession infirmière, ce qui offre davantage de perspectives aussi bien pour l’arrivée de nouveau personnel dans le secteur que pour l’évolution au sein du secteur. Simultanément, nous soutenons le personnel de soins et tous les prestataires de soins grâce à des profils professionnels entièrement nouveaux, comme l’« assistant de pratique », qui peut jouer un rôle non seulement aux côtés des médecins généralistes, mais aussi dans les hôpitaux.

(2) Dans le cadre de la législation de base existante, nous revoyons la répartition des tâches au travers de la différenciation des tâches, de la délégation des tâches et du transfert des tâches.

(3) Mais nous redéfinissons également la profession infirmière dans la législation de base afin de pouvoir procéder à une véritable revalorisation du métier au moyen d’arrêtés d’exécution, avec un rôle plus fort et plus autonome pour le personnel infirmier dans nos soins.

(4) Nous introduisons « l’équipe structurée » dans la législation sur les professions de soins afin que cette nouvelle vision des profils professionnels et de la répartition des tâches puisse être pleinement exploitée. Ce principe crée de nouvelles possibilités pour l’organisation des soins au sein d’équipes interprofessionnelles qui collaborent de manière intégrée.

Il s’agit de réformes en profondeur, que nous sommes en train de mettre au point dans le respect de la qualité des soins et de la formation du personnel. La pénurie de personnel n’est pas résolue en un claquement de doigts pour autant, mais cela rend la profession plus attrayante et améliore les soins pour les patients. Bien entendu, la problématique de l’attrait du travail dans le secteur des soins est complexe et les réponses le sont tout autant. Néanmoins, il est essentiel de formuler aujourd’hui des réponses axées sur l’avenir. Tous ces éléments doivent être examinés attentivement, non seulement avec les conseils d'avis spécifiques, mais aussi avec les partenaires sociaux. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative d’élaborer un « Agenda pour l’avenir du personnel de soins » en collaboration avec les acteurs de terrain, c’est-à-dire les représentants des employeurs et des travailleurs, d’une part, et les organisations professionnelles, d’autre part. L’objectif est de dresser un inventaire en ce qui concerne l’attrait du travail dans le secteur des soins et de dresser la liste des solutions possibles à moyen et à long termes. Les discussions à ce sujet sont en phase finale. A partir de là, nous voulons identifier et élaborer, conjointement avec les partenaires sociaux et dans une perspective pluriannuelle, des actions concrètes dans leurs compétences et dans le cadre de la concertation sociale.

Par ailleurs, en attendant la mise en œuvre de cette réforme, nous avons déjà décidé à trois reprises depuis un an et demi d’ajouter une tranche ponctuelle de 20 millions d’euros au BMF pour que les hôpitaux puissent recruter, en 2023 et 2024, notamment du personnel de soutien pour aider le personnel de soins dans les hôpitaux (la troisième tranche était de 21 millions d’euros). En outre, nous avons prévu un crédit d’investissement de 21 millions d’euros pour soutenir les investissements réalisés par les hôpitaux avant la fin de l’année 2023 dans des technologies qui facilitent le travail des infirmières sur le plan administratif ou organisationnel. J’aimerais avoir le feed-back du secteur hospitalier sur la manière dont il valorise ces efforts dans sa politique.

En outre, pendant le conclave budgétaire, nous avons débloqué 7 millions d’euros pour les projets « (De) Nouveau à bord », qui permettent aux hôpitaux de libérer du personnel pour mieux encadrer les personnes qui commencent pour la première fois ou qui recommencent à travailler dans un hôpital après une période d’absence. (Le Comité de l’assurance du 13 novembre a donc approuvé un effort supplémentaire de 51 millions d’euros pour les hôpitaux : 23 millions de fonds supplémentaires pour #ChoisisLesSoins, une troisième tranche de 21 millions pour le personnel de soutien et 7 millions pour le projet « (De) Nouveau à bord »).

Une autre préoccupation importante dans l'offre de soins médicaux est que les médecins se sentent assurés d'un rapport équitable dans la rémunération des différentes spécialités. D'où la nécessité absolue d'une réforme de la nomenclature médicale. Une réforme qui fait la distinction entre la partie qui rémunère l'activité professionnelle, d'une part, et la partie qui couvre les frais de fonctionnement liés à l'acte médical, d'autre part. Les deux parties font actuellement l'objet d'un inventaire par trois groupes de travail qui appliquent la même méthodologie standardisée, dans laquelle la partie professionnelle est pondérée en fonction de la durée, de la complexité et du risque de la prestation. J’en ai déjà parlé lorsque j’ai abordé le financement des hôpitaux. Ce travail de grande ampleur devrait être achevé d'ici fin 2024. Les travaux avancent conformément au calendrier prévu. À ce jour, plus de 70% des prestations techniques ont été passées en revue.

 

  1. Absence de longue durée pour maladie : nous pouvons et nous devons y faire quelque chose

Je reviens sur le problème des absences pour maladie. Les chiffres de l’analyse MAHA montrent qu’il s’agit malheureusement d’une réalité grandissante dans les hôpitaux : 11 % d’absentéisme, 2/3 d’absences de plus d’un mois et plus d’1/3 de plus d’un an. C’est pourquoi, dans les hôpitaux aussi, il faut davantage mettre l’accent sur un travail faisable et de meilleures conditions de travail. Ces derniers mois, pour la première fois, nous avons confronté les employeurs du pays à leur responsabilité en la matière, en prélevant une cotisation supplémentaire auprès des entreprises dans lesquelles le nombre de départs en incapacité de travail de longue durée est plus élevé que dans des entreprises comparables (et par rapport à l’ensemble du marché du travail). Dans le secteur des soins également, il y a également des employeurs qui doivent payer cette cotisation de responsabilisation (dont 4 hôpitaux pour l’instant). Les recettes - que j’estime à 900.000 euros par an pour l’ensemble du secteur fédéral et régional des soins - sont disponibles pour vos fonds sectoriels, afin que de pouvoir mener ensemble des actions pour améliorer les conditions de travail, lutter contre les départs et promouvoir la réintégration.

Tout le monde s’accorde à dire qu’il ne sert à rien d’investir dans l’arrivée de nouveaux collaborateurs par la grande porte s’ils s’en vont aussi vite, voire plus vite, par la petite porte, entre autres dans le cadre de l’incapacité de travail de longue durée. Heureusement, le secteur en est conscient et souhaite y travailler, notamment en misant davantage sur les actions en matière de bien-être mental. Mais cela ne suffit pas. Les organisations doivent également avoir une politique de réintégration beaucoup plus explicite et positive. Dans notre politique de réintégration des malades de longue durée (le projet ‘Retour au Travail’), nous nous sommes fortement concentrés sur le soutien à l’individu. J’invite le secteur à utiliser en priorité les ressources qui seront disponibles pour soutenir toutes les institutions et organisations concernées au travers des fonds sectoriels. Encourager le retour au travail ne demande pas toujours des projets difficiles ou coûteux. La recherche montre, par exemple, qu’une attention sincère de la part du manager est un facteur important de rétablissement. Mais le recours aux mesures disponibles pour faire revenir au travail progressivement et à temps partiel des travailleurs en incapacité a également des retombées importantes. Tout comme l’implication très tôt des personnes concernées dans les discussions sur les aménagements de travail nécessaires pour que leur retour soit possible. Il y a tant de bons exemples, parfois très « modestes » et facilement transposables, à trouver dans les hôpitaux. Collectez-les, rendez-les visibles et aidez les organisations à mettre en œuvre les exemples de réussite. Je suis donc impatient d’entendre de la part du secteur des soins à quoi il affectera les recettes de cette nouvelle cotisation de responsabilisation, que j’estime à 900.000 euros sur une base annuelle.

Par ailleurs, nous avons également renforcé vos possibilités de stratégie en matière de RH soft. Dans le cadre de l’accord social, une enveloppe de 7 millions d’euros a été mise à disposition pour renforcer les services du personnel des hôpitaux avec des personnes supplémentaires qui, en concertation avec les syndicats locaux, peuvent se concentrer spécifiquement sur l’élaboration d’actions visant à améliorer la qualité du travail : je suis très curieux d’en voir les résultats.

Je peux également vous informer qu’à partir du 1er janvier, les hôpitaux qui offrent à un malade de longue durée la possibilité de (re)travailler recevront une prime de 1725 euros. J’espère que les hôpitaux seront des pionniers dans l’utilisation de ce nouvel outil.

 

  1. Conclusion : notre ambition partagée doit inspirer une soif de réformes partagée

J’en arrive à ma conclusion. Je pense que nous partageons deux ambitions fondamentales. Premièrement, lorsque des soins sont nécessaires, ils doivent être disponibles. La pénurie structurelle de personnel représente donc une menace énorme pour la légitimité de notre système : nous devons nous y atteler, même si nous savons qu’il n’y a pas de solution miracle et que les réformes et les investissements nécessaires prendront encore beaucoup de temps. Deuxièmement, lorsque les soins existent, ils doivent être de la meilleure qualité possible.

Pour réaliser cette double ambition, nous devons non seulement prendre soin de la solidarité ancrée dans notre système de soins, mais aussi la renforcer. Nous y parviendrons si nous pouvons remplir trois conditions :

(1) du respect, du soutien, une rémunération équitable et du travail faisable pour tous ceux et toutes celles qui travaillent dans le secteur des soins,

(2) une coopération maximale en décloisonnant et en partageant les données,

(3) une affectation transparente et efficace - et donc efficiente – des ressources disponibles.

En particulier dans un contexte de manque de main-d’œuvre, ce sont trois conditions essentielles, non seulement pour réaliser notre ambition – à savoir faire en sorte que nos soins de santé restent solides, de qualité, accessibles, solidaires et donc abordables - mais aussi pour pouvoir maintenir cette ambition. Et, étant donné que nos soins de santé de qualité sont une pierre angulaire de la société que nous formons, la barre n’est jamais placée trop haut, l’ambition n’est jamais trop grande. Je sais que vous partagez cette ambition. Aujourd’hui, c’est donc avec conviction que je vous tends la main pour collaborer de manière constructive sur toutes les réformes qui sont nécessaires, pour faire de ces réformes nécessaires une réalité.