60 ans du GBO : discours du Frank Vandenbroucke

Merci pour l’invitation. C’est un plaisir d’être ici. C’est rafraîchissant, dans le contexte des débats budgétaires, de pouvoir assister à une conférence aussi riche en contenu.

Je voudrais commencer par ce qui peut sembler une formule de politesse, mais ce n’est pas du tout une formule de politesse : vous, médecins généralistes, êtes au cœur de nos soins de santé. Vous êtes souvent le premier interlocuteur des citoyens, leur guide dans un paysage de soins de plus en plus complexe, et la personne de confiance qui les accompagne dans les moments les plus vulnérables de leur vie. Cette confiance est essentielle. On pourrait même dire qu’elle est aussi importante que le traitement lui-même.

Mais cette confiance est mise à rude épreuve, j’oserais même dire : tout comme la confiance en soi des professionnels. Quel est l’avenir de la médecine générale ? Vous connaissez les pressions : le vieillissement de la population, la complexité des maladies chroniques, l’administration de plus en plus lourde, la digitalisation qui promet la simplification mais amène aussi des difficultés.

Au-delà de ces pressions, il y a des facteurs plus fondamentaux. Nous vivons dans une société où des notions partagées, comme la valeur de la science ou de la solidarité, s’affaiblissent. Les soins de santé reposent pourtant sur cette combinaison de science et de solidarité. Quand des citoyens doutent de la science, influencés par des informations erronées diffusées sur les réseaux sociaux, votre travail devient plus difficile. Et quand d’autres considèrent le système de santé comme un magasin où tout doit être disponible immédiatement, sans se rendre compte qu’il s’agit d’un système solidaire qu’il faut respecter, cela complique encore les choses.

Plutôt que de me concentrer sur ces défis, je voudrais souligner les atouts et les opportunités. L’un des atouts majeurs de notre système de soins est la concertation. Nous avons mis en place des structures dans lesquelles les médecins participent aux décisions sur les honoraires, la qualité, les conventions, le statut social. C’est assez unique en Europe et le résultat de l’engagement de générations de médecins. Grâce à ce modèle, nous avons trouvé un équilibre entre liberté individuelle et solidarité, entre la médecine comme vocation et la médecine comme profession, entre autonomie médicale et responsabilité sociale.

Les syndicats jouent un rôle essentiel dans cet équilibre. On peut être en désaccord avec des organisations syndicales, mais en même temps reconnaître que leur rôle est indispensable. Leur existence rend possibles les compromis. Cela vaut pour les syndicats des travailleurs salariés. Il en va de même pour les syndicats médicaux : on peut débattre, parfois s’opposer, mais votre rôle est crucial pour le maintien de la confiance, y compris entre les autorités politiques et le terrain.

Nous avons besoin d’organisations syndicales qui ne se contentent pas de réagir, mais qui participent à l’élaboration des politiques avec une vision et une connaissance du terrain. Cela demande davantage de professionnalisation, mais aussi une collaboration plus étroite entre syndicats, associations professionnelles et scientifiques, et avec les représentants des autres disciplines. Nous devons sortir des silos et adopter une vision commune des soins de santé. Cela suppose aussi le courage de renforcer d’autres professions pharmaciens, kinés, psychologues  pour permettre à la médecine générale de s’épanouir.

L’organisation syndicale joue également un rôle essentiel dans la relation entre les autorités politiques et le terrain. La démocratie vit du débat et de la contestation, mais pour qu’ils soient constructifs, il faut des échanges fondés sur des informations correctes. Un syndicat doit être un canal d’information fiable, capable de corriger les fausses rumeurs, de contextualiser les décisions et de les nuancer.

Il est également important de partager certaines notions fondamentales entre autorités, syndicats et acteurs de terrain. J’ai beaucoup apprécié l’exposé d’Isabelle Dagneaux sur la responsabilité sociale en santé. La liberté thérapeutique, par exemple, est essentielle, mais elle ne signifie pas liberté absolue. Elle s’accompagne d’une responsabilité : celle d’agir sur la base de preuves scientifiques et de tenir compte des effets collectifs de ses décisions comme la résistance aux antibiotiques ou le bon usage des ressources publiques.

Une société solidaire suppose une co-responsabilité de tous : patients, prestataires, employeurs, mutuelles et autorités publiques. Chacun a un rôle à jouer. Prenons l’exemple des malades de longue durée : les employeurs ont un rôle à jouer dans la prévention et la réinsertion, mais nous devons aussi reconnaître les failles de notre système, notamment le manque de suivi des personnes en invalidité. Il faut repenser la manière d’accompagner ces patients, en intégrant la réinsertion professionnelle dans la réflexion sur la guérison. Les médecins traitants ont un rôle important à jouer dans cette dimension. Nous devons organiser un dialogue approfondi pour trouver un consensus sur ce rôle, avec les médecins du travail et les médecins conseils des mutualités. Je propose d’organiser une large Table Ronde au début de l’année prochaine sur la réintégration des malades de longue durée et le rôle de tous les acteurs concernés. Les organisations syndicales seront évidemment associées à cette réflexion et à cette Table Ronde.

Enfin, nous partageons un défi commun : maintenir un système de santé fort dans une période de stress croissant. Les tendances sont connues : vieillissement, comordités complexes et et maladies chroniques. Il faut donc continuer à investir dans les soins de santé : c’est le débat que je mène actuellement au sein du gouvernement. Mais au-delà du financement nécessaire, il faut veiller à utiliser chaque euro de manière optimale : il faut plus d’euros pour la santé mais aussi obtenir plus de santé par euro investi. Et donc, il faut oser réformer.

Réformer, entre autres pour renforcer l’organisation des soins : par l’encouragement de la multidisciplinarité (médecins, psychologues, kinés, infirmiers…), et l’utilisation les moyens budgétaires disponibles pour développer ces collaborations. La réforme de la nomenclature, bien que complexe, doit permettre de valoriser le temps consacré au patient et au dialogue, en tenant compte de la complexité croissante des soins.

En tant qu’organisations syndicales, votre rôle est essentiel. L’avenir des médecins et de leurs syndicats est une histoire riche qui ne fait que continuer.

Avançons ensemble.

Merci pour votre écoute.